Sacoche de travail sous le bras, Noah se rapprochait du lieu du festival après quelques kilomètres à pied. Apprécier les rues de la ville - même à bord de la Ford familiale - n'avait pas la même saveur qu'en plein air. Tant mieux s'il en avait pour un petit temps avant de pouvoir se réchauffer avec une boisson chaude, ça lui laissait le temps de profiter d'une escapade semi-nocturne. Sans se fixer d'heure de retour, il avait tout le temps. Les températures commençaient à doucement chuter ; en partant ce matin, le libraire avait laissé son manteau en cuir sur le dos de l'une des chaises de la cuisine et opté pour un plus chaud. Seule sa respiration dessinait de longues traînées blanches dans l'air du soir, suivant presque la cadence des décorations lumineuses qu'il commençait à deviner droit devant. Des jeux de lumière à l'approche des fêtes, Noah avait déjà eu l'occasion d'en voir des milliers à New York. Rien ne se faisait jamais dans la demi-mesure à la grosse pomme, la profusion était le mode d'ordre. Le clinquant aussi. Tant que ça plaisait aux citadins pressés. Noah préférait largement la discrétion des rues d'Edenton aux cascades lumineuses de NY. Le calme relatif aussi, le fait de respirer l'air salin plutôt que du gazole. Son téléphone se mit à vibrer dans la poche intérieure de son manteau Probablement un message. Peut-être sa soeur qui cherchait à le joindre pour le soir de Thanksgiving. C'était la première année qu'il le passait éloigné des Callahan. Un léger sourire se dessina sur ses lèvres lorsqu'il passa sur une passerelle. L'obscurité jouait son rôle à merveille. Suivre les lumières. Presque comme l'esquisse d'un jeu d'indices digne de certains romans. Son téléphone vibra à nouveau alors qu'il se frayait un chemin entre les petits groupes. On commençait gentiment à deviner des airs de musique, portés par l'air du soir. Noah s'arrêta, un peu en retrait, pour récupérer son cellulaire. Son sourire s'élargit alors que l'écran lui dévoilait le nom de l'appelant. "Mrs Andrade, bonsoir" dit-il, le téléphone pressé contre son oreille, sans pour autant complètement quitter des yeux le spectacle qu'offrait le festival. De ce qu'il pouvait voir de là où il était. Noah plissa les yeux, tendant l'oreille pour essayer de distinguer les mots prononcés par sa cliente. "Désolé.. je suis en extérieur, à vrai dire. Je vous entends assez mal... Vous disisez ?" dit Noah. Entre les problèmes de ligne à la librairie et la réception de son téléphone. ça devait mal passer avec le festival. Il n'avait pas eu de nouvelles de sa cliente depuis qu'il lui avait laissé un message, une grosse heure plus tôt. Le libraire avait pris le pari de quitter la librairie avec sa commande sous le coude. Juste au cas où.

Enfin un jour de repos. Ivanna le savoure avec un immense plaisir, parée à aller découvrir le Festival des Lumières dont tout Edenton parle depuis des semaines. Elle regardait, à chaque fois qu'elle entrait dans le restaurant, l'affiche du festival collé sur la baie vitrée à côté de la porte. Impossible de la louper et de ne pas être au courant. Le soir arrive enfin, et Ivanna sort de chez elle avec un long manteau blanc et une écharpe chaude qu'elle affectionne tout particulièrement. Elle frissonne légèrement et plonge ses deux mains dans ses grandes poches. La température n'est pas des plus clémentes et d'ordinaire Ivanna aurait pris sa voiture, mais le lieu du festival n'est qu'à une trentaine de minutes à pieds de chez elle, autant marcher et profiter des dernières lueurs du jour avant la tombée de la nuit. Plongée dans ses pensées, elle ne fait pas attention à la vibration qui secoue légèrement son sac à main alors qu'elle quitte sa rue pour suivre la route qui mène à la forêt.  

Une heure s'écoule, pendant laquelle Ivanna a fini par arriver au sentier illuminé, suivre son chemin et parvenir au lieu du festival, et évoluer entre les petites animations, la piste de danse et le kiosque réservé aux boissons et petites gourmandises à grignoter. La nuit a eu le temps de tomber tout à fait, et alors qu'elle hésite entre un chocolat et un verre de vin tout aussi chauds l'un que l'autre, Ivanna sent son téléphone vibrer dans son sac à main, contre sa hanche. Elle s'en saisit, et voit qu'en plus du texto de l'une de ses amies, elle a reçu un appel de la librairie où elle a commandé des livres pour se préparer à son cours d'écriture. Ses ouvrages sont arrivés, et le libraire l'informe qu'il les prendra avec lui en quittant son magasin, juste au cas où elle soit au travail, qu'il les lui dépose. "Mince..." fait-elle, avant de recomposer le numéro du libraire en question. Pendant que la tonalité d'appel retentit, Ivanna repense au dénommé Noah, rencontré pour la première fois quelques semaines auparavant, à l'Edenton Bay Oyster Bar, alors qu'il consommait la bière à la citrouille servie à l'occasion de Halloween. "Noah ?" fait-elle quand il finit par décrocher. "Bonsoir, j'ai bien reçu votre message mais je ne travaille pas ce soir, je suis désolée..." s'excuse-t-elle en mettant sa seconde main sur son oreille gauche, afin de couvrir le bruit ambiant. Dans le combiné, elle distingue la voix du libraire qui lui explique ne pas très bien l'entendre. "Je suis en extérieur moi aussi, au Festival des Lumières... Il y a beaucoup de bruit ! Je disais que je m'excuse, je ne suis pas au travail, du coup impossible pour vous d'y passer pour ma commande !" Tout en parlant, Ivanna s'éloigne quelque peu de la buvette. Elle se place près d'un décor de forêt miniature, composée de sapins illuminés. "Voilà, je me suis un peu déplacée, normalement vous devriez mieux m'entendre..."

A l'évocation de ce qui ressemblait à son prénom, le sourire qui flottait déjà sur les lèvres du libraire s''était très largement élargi. De nombreux clients l'appelaient par son prénom, par habitude. Le type de proximité qui lui plaisait, qui dépoussiérait l'image du vieux libraire. Un peu comme un membre éloigné de la famille que l'on ne voit qu'en de rares occasions, que l'on retrouve avec plaisir au détour d'un bon café pour rattraper le temps perdu. Le son était toujours aussi mauvais, Noah faisait son maximum pour se concentrer sur la voix de Mrs Andrade partiellement couverte par un bruit de fond. Le libraire plissa légèrement le front, semblant comprendre qu'elle n'était pas de service le soir même. "J'avais gardé votre commande avec moi, au cas où j'aurais justement des nouvelles de votre part. Si vous avez deux minutes, le service express tient toujours..." Sourire de Noah. "Je suis aussi au festival," admit le libraire. "Pour être honnête, je suis coincé entre un pin et...un groupe qui a apparemment déjà bien profité du stand de boissons chaudes," précisa Noah avec un léger rire, laissant son regard volatile se poser sur les décors environnants. Une image qui n'était pas sans lui rappeler ses années étudiantes passées à New York. Qui commençaient à remonter.

Noah s'était mis à la recherche de sa cliente depuis quelques minutes. Cellulaire collé à l'oreille, le libraire se laissait guider, suivant les indications qu'elle lui dictait de l'autre côté du téléphone. Son regard se posait tour à tour sur les groupes, arbustes et massifs illuminés. Quelques paroles de The Way You Look Tonight lui revinrent brièvement en mémoire lorsqu'il croisa ses pupilles sombres. Probable déformation d'un amateur de vieux classiques. Sa cliente était postée près d'une forêt miniature, peuplée de sapins lumineux de différentes tailles. Il raccrocha finalement en arrivant à son niveau. "Bonsoir," dit le libraire avec un sourire. "Je crois qu'on ne se sera jamais autant croisés que ces derniers jours," plaisanta Noah avant de poser une main sur sa sacoche. "J'ai votre commande. Mais si vous êtes attendue..." avança le libraire avec un léger regard circulaire. "Je peux la garder pour que vous passiez la prendre plus tard, à la librairie. C'est comme vous préférez."

@Ivanna Andrade    

Ivanna non plus, n'entend pas tellement le libraire, au bout du fil. Elle finit par s'éloigner de la buvette, sa main gauche couvrant toujours son oreille du même côté. Un sourire vient étirer ses lèvres lorsqu'il l'informe que lui aussi est au festival, et qu'il pourra par conséquent lui donner sa commande si elle le souhaite. "Quelle charmante coïncidence !" commente Ivanna, essayant de ne pas faire sentir à sa voix qu'elle sourit bêtement. Elle tourne ensuite sur elle-même, à la recherche du libraire, mais ne voit aucune silhouette qui pourrait lui ressembler. "Hum... J'ai beau chercher du regard je ne vous vois pas... Si vous préférez me rejoindre, de mon côté je suis près d'un décor composé de sapins entièrement illuminés," l'informe-t-elle sans cesser de regarder autour de la place qu'elle occupe. Elle sera certainement plus visible que lui.

Au bout d'un petit moment à se donner des indications, Ivanna finit par croiser le regard de Noah, au milieu de la foule. Elle sourit une nouvelle fois, bien plus touchée de le voir ici qu'elle ne l'aurait d'abord cru. "Bonsoir," souffle-t-elle en remettant son téléphone dans son sac à main. "Eh oui, j'ai aussi cette impression..." acquiesce Ivanna avant de replacer une mèche de cheveux derrière son oreille. "Oh je ne suis attendue nulle part ! Je peux la récupérer maintenant," confirme-t-elle en ouvrant son sac à main afin d'y glisser les ouvrages une fois que Noah les lui a tendus. Son sac est devenu impossible à fermer, aussi se contente-t-elle de le laisser pendre près de sa taille, le bras au-dessus pour que ses livres n'en tombent pas. "Alors, comment trouvez-vous l'endroit ? Après ces semaines de préparation !" demande Ivanna pour entamer la conversation. "Oh, je ne voudrais surtout pas vous retenir, au fait... Si vous deviez rejoindre quelqu'un, ou si vous êtes accompagné..." ajoute-t-elle très vite, un peu gênée d'avoir si vite oublié son sens des convenances.

"Eh oui, j'ai aussi cette impression..." Le regard de Noah s'attarda brièvement sur le sourire affiché par sa cliente. Et la lumière des sapins qui dansaient dans ses yeux. Si NY était la définition même de la débauche de moyens - particulièrement à l'approche des fêtes de fin d'année - le charme de ce festival était ailleurs. Simple, accessible, avec juste ce qu'il fallait de jeux de couleurs. Charmant et presque confidentiel. Comme l'impression d'une bulle que NY ne pouvait offrir, polluée par le bruit des klaxons et les effluves des fast-food situées à proximité. Il lui arrivait bien de repenser à la vue offerte par les ponts surplombant l'East River mais un simple regard par la fenêtre suffisait à lui rappeler que celle de la mer d'Edenton était encore plus belle. Plus sauvage. Le libraire ouvrit sa sacoche pour y récupérer la commande de sa cliente, encore protégée par l'emballage plastique de son fournisseur. Protection qu'il entreprit de défaire en quelques secondes, il avait l'habitude.

Les commandes allaient prochainement s'accélérer : ils étaient déjà sur le pont avec ses collègues, pour anticiper le flot de fin d'année. Pour que chaque joli paquet cadeau puisse comporter le livre commandé, même au dernier moment. Pour que les mêmes lignes soient lues et relues dans des petites maisons, à de larges tablées, avant d'éteindre la lumière de chevet... Il avait un beau métier. "Je vous la laisse dans ce cas..." dit Noah avec un sourire, tendant les ouvrages restants à sa cliente. "C'est superbe..." souffla t-il pour toute réponse. Il avait doucement relevé le menton, jetant un regard appréciateur aux alentours. Il émanait une certaine sérénité de l'endroit. "Je veux dire... c'est bluffant, ça valait le coup. Chapeau à la mairie." Edenton restait une ville à taille humaine. Noah ne pouvait qu'imaginer les trésors déployés par la mairie pour parvenir à ce résultat. "En fait, ça me rappelle pour quelles raisons je suis arrivé ici," ajouta doucement Noah avec un regard pour Ivanna. "Même si ça n'a rien à voir avec le sujet," dit-il, amusé. Il avait glissé cette information sans vraiment s'en rendre compte. "Et la forêt peut faire une chouette cachette..." Nouveau sourire de Noah après un mouvement de tête, détaillant les sapins clignotants qui les entouraient. "Vous avez déjà fait le tour des animations ?" Lui découvrait tout juste les lieux. "Je ne suis pas certain qu'Ernest Hemingway compte..." dit Noah avec un large sourire en faisant allusion au livre qui l'attendait sur son chevet. Un ouvrage qu'il avait déjà parcouru de long en large, commençant à connaître certains passages par coeur. Il le relisait pourtant à chaque fois avec un plaisir intact. "Le Vieil Homme et la Mer" ajouta le libraire. "Peut-être que celui-ci, vous l'avez lu..." glissa Noah. Il avait bien gardé en tête le fait qu'elle ne lisait que rarement.

@Ivanna Andrade    

Si Ivanna avait su en venant ici qu'elle tomberait sur le charmant libraire qui l'a aidée à venir à bout de sa liste de préparation au cours d'écriture l'autre jour, elle se serait un peu mieux apprêtée. Elle a l'impression d'être observée, et surtout peur d'avoir un quelconque défaut sur le visage. Elle qui aime tant se faire jolie et prendre soin d'elle... Quelle calamité de sentir qu'on n'en a pas fait assez. Elle récupère les ouvrages qu'il a emportés avec lui au cas où il puisse les lui déposer au travail, et les fait entrer dans son sac en tentant de masquer son sourire. Elle est touchée par cette attention, mine de rien. Elle relève les yeux vers lui alors qu'il est en train de lui répondre. "Oui, je suis d'accord avec vous..." Les mots lui manquent. Elle en est presque à bafouiller. "Oh, d'où venez-vous ?" s'intéresse Ivanna, ayant repris pied suite à la mention de cette information. Elle ne se souvient effectivement pas de Noah. S'il avait grandi ici, elle l'aurait forcément vu, à un moment ou à un autre. Et ailleurs que sur son lieu de travail, où ils se sont croisés la première fois. "Non, pas encore," ment-elle en souriant légèrement. Ivanna a tout de même la politesse de lui préciser qu'elle ne souhaite en rien le distraire de son occupation première, s'il est attendu ou accompagné ; mais elle comprend par la mention d'un auteur qu'elle ne connaît que de nom qu'il est apparemment venu seul au Festival. Elle secoue la tête, traversée par un amer sentiment de honte. "Je me répète sûrement, mais je ne suis malheureusement pas une grande lectrice... Peut-être que je le deviendrai, à force !" confie-t-elle en montrant d'un vague geste du bras son sac à main. "Vous voulez faire le tour des animations avec moi ? Je suis arrivée il y a peu de temps," propose la brunette, sachant pertinemment que son nez rosi par le froid risque de la trahir, bien qu'elle ait l'excuse de la marche accomplie depuis son domicile pour se rendre en forêt.

Même s'il adorait la sensation du volant de la Ford qui glissait sous ses doigts lorsqu'il changeait de direction, il ne la prenait finalement qu'assez rarement. Principalement, lorsqu'il ralliait New York en voiture pour retrouver les Callahan. Et même si elle consommait facilement trois fois plus qu'un véhicule actuel, Noah trouvait au bouton de la radio qui grésillait lorsqu'il en jouait et aux pédales qui faisaient parfois de la résistance un charme fou. L'attrait incomparable de l'ancien.
New York et ses bouchons. New York et ses klaxons. Noah en avait passé des heures coincé dans les embouteillages ou assis dans les transports en commun bondés, entre deux rendez-vous. Sa vie d'avant, presque celle d'un autre. Sortir à pied ou en vélo était aujourd'hui synonyme d'une liberté nouvelle, de découverte de chaque instant. Comme ce soir. Les lumières mouvantes mettaient magnifiquement en relief des paysages qu'il avait déjà eu le chance de découvrir de jour. Et les traits de sa cliente qui affichaient un sourire communicatif. Qui ne semblait d'ailleurs que rarement la quitter. "De New York," admit le libraire en posant son regard sur un massif illuminé. "ça change d'Edenton," dit-il avec un léger hochement de tête, un large sourire sur les lèvres. "La ville peut rapidement devenir étouffante. Ici, tout est plus simple. Le bruit de la mer, c'est quand même un beau luxe... ça et les bières à la citrouille. Edenton est une ville bourrée de charme." Noah marqua une pause avant d'ajouter, une main posée sur sa sacoche - par habitude. "Sans compter que Time Square à côté du spectacle de ce soir... Edenton gagne haut la main." Le sourire du libraire s'élargit. Parce qu'il avait n'avait jamais eu l'impression de faire de meilleur choix que celui de faire ses valises pour s'installer dans une petite maison de quartier. Le vent qui soufflait sur les vitres avait remplacé le brouhaha de fond des conducteurs pressés de la grosse pomme. Il pouvait enfin pleinement apprécier les vinyles qui tournaient sur la chaîne. "Ce sera peut-être un peu plus régulier si vous suivez des cours. Désolé de vous l'annoncer comme ça..." dit Noah, amusé. "Certains ouvrages sont plus accessibles que d'autres, pour un démarrage. Il faut que la lecture reste un plaisir, un moment d'évasion. Si vous avez besoin de conseils pour plus tard, d'autres lectures. N'hésitez pas." Mrs Andrade avait une carte de visite de la librairie en sa possession, ainsi que son numéro personnel.  "Bien sûr, avec plaisir." L'odeur du stand de boissons chaudes commençaient à lui titiller le nez à mesure qu'ils avançaient côte à côte. Les basses d'un titre de The Temptations semblaient rythmer leurs pas.
Une bonne heure venait de s'écouler alors qu'ils s'arrêtaient au stand de boissons chaudes, sous les guirlandes lumineuses qui courraient le long de l'espace de restauration. "Merci de m'avoir accompagné pour cette visite." dit Noah avant de l'interroger du regard. "Est-ce que j'abuse de votre temps si je vous offre une boisson chaude ?" Il lui sourit, se demandant un peu tard si elle ne risquait pas de trouver sa demande déplacée. Mais il n'était pas contre quelques minutes de plus ici, entre les stands et massifs aux mille couleurs. Avec une cliente qui est était plus que de bonne compagnie.

@Ivanna Andrade    

"Ah oui, effectivement ! Ça a dû vous faire tout drôle, d'arriver ici..." commente Ivanna, impressionnée par le changement de décor que Noah a réalisé. Elle ne peut s'empêcher de hocher la tête en l'écoutant. C'est principalement tout ce que le libraire cite qui fait qu'elle n'a jamais eu envie de changer d'air. Même pour aller à Raleigh voir ses cousins, Ivanna doit prendre sur elle. Un rire la gagne quand Noah compare Times Square à Edenton. Elle n'en a qu'une image en tête, résultant de photographies qu'elle a déjà pu croiser, mais saisit très bien la différence tout de même. Rien à voir. Une moue ennuyée remplace le sourire d'Ivanna, lorsque Noah lui annonce qu'elle va devoir lire beaucoup plus régulièrement désormais. "C'est quelque chose que je vais devoir apprécier à la longue, je le sais..." souffle-t-elle, quelque peu apeurée. Elle est tout de même touchée par la proposition du libraire, qu'elle accueille en hochant à nouveau la tête. "Oui, c'est très gentil de votre part, merci..."

Prenant son courage à deux mains car le Festival des Lumières l'attire bien moins en parcours solitaire maintenant qu'elle a rencontré Noah, Ivanna finit par lui demander s'il est tenté par l'idée de visiter les lieux en sa compagnie. Un sourire étire ses lèvres lorsqu'il accepte, et ils se mettent en marche côte à côte, en continuant à discuter. La clairière n'étant pas aussi grande que Times Square, ils en font rapidement le tour et se retrouvent, au bout d'une petite heure, devant le stand de boissons où Ivanna a reçu un peu plus tôt l'appel du libraire. "C'était un plaisir... Oh, je veux bien, oui ! Je ne peux pas refuser une telle offre," répond joyeusement Ivanna alors qu'ils s'insèrent dans la file. Lorsque leur tour vient, la brunette commande un chocolat chaud, presque à contre-coeur. Elle aurait plutôt eu envie d'un vin chaud, mais elle sent que son organisme va le lui faire payer étant donné qu'elle n'a pas mangé grand chose aujourd'hui. Elle ne voudrait pas se retrouver un peu bête devant Noah. Leurs boissons récupérées, ils s'éloignent tous deux et Ivanna remercie à nouveau le libraire. "Encore merci... Ça me fait vraiment plaisir d'avoir passé ce moment avec vous, c'était bien plus amusant que de parcourir les lieux seule, comme j'avais prévu de le faire en venant," déclare Ivanna en rougissant carrément.

La transition avec la ville s'était faite aussi naturellement que poser ses valises dans la jolie maison qu'il avait eu la chance d'acquérir dans un quartier familial d'Edenton. L'écrin de sa nouvelle vie loin des matinées brumeuses et de l'air pollué de New York. La mer pour nouvel horizon. Peu importait que son chez lui ait perdu quelques dizaines de mètres carré, il n'en était que plus chaleureux. A l'image d'un livre de quelques centaines de pages à peine, qui nous plonge pourtant dans un univers à part. Et dans lequel on se retrouve. Avec ses vinyles et ses livres arrangés sur les étagères, sa maison était simplement devenue le reflet de ses essentiels. Et Noah n'avait jamais eu besoin de plus. "Effectivement, c'était un changement." Noah en affichant un sourire, quittant quelques instants un sapin voisin des yeux pour les poser sur Mrs Andrade. "Dans le bon sens du terme." Il marqua une pause avant d'ajouter. "Et c'était un changement nécessaire." Pour une centaine de raisons. Sa poche intérieure se mit à vibrer. Probablement sa soeur qui tentait de le joindre, peut-être pour anticiper et préparer au mieux les fêtes qui approchaient. Comme l'année dernière, 7 heures de route l'attendraient pour Noël et le jour de l'an.

Les lumières qui les accompagnaient le long du chemin avaient été disséminées avec goût, un spectacle dont il ne se lassait pas. Comme un bon titre des Beatles qui tournerait doucement sur la chaîne du salon. Le sourire du libraire s'étendit un peu plus lorsque sa cliente accepta de rester quelques minutes pour profiter du stand de boissons chaudes. Elle opta bientôt pour un chocolat chaud. Noah se laissa tenter à son tour. "ça doit faire quelques années que je n'ai pas pris de chocolat chaud... Et je crois bien que je vais vous suivre." Il aurait bien l'occasion de goûter au vin chaud au marché de Noël prévu en ville à la fin du mois. Celui de l'année dernière avait juste ce qu'il fallait d'épices pour éveiller les papilles. Noah régla leurs deux consommations. "Le plaisir est partagé," glissa Noah, lui souriant et avançant légèrement son chocolat vers elle. Assez pour trinquer à bonne distance. "Nous devons nous y habituer : aux plus importantes croisées des chemins de notre vie, il n’y a pas de signalisation." dit Noah après avoir avalé une gorgée, suivant du regard les visiteurs qui à leur image, bravaient le froid pour découvrir les lieux. Il répondit bientôt au regard interrogateur de Mrs Andrade. "C'est une citation d'Ernest Hemingway. Auteur inspiré et plutôt poétique. Enfin tout dépendait de l'humeur de sa plume." plaisanta Noah. "En fait, c'est avant tout une façon de vous souhaiter bon courage pour le début de vos cours. Comme je doute d'avoir d'autres occasions que celle-ci." Le libraire termina son chocolat chaud, se résumant à quelques gorgées et demanda, avisant certains groupes qui affluaient déjà vers l'entrée du festival. "Je pensais rester encore un peu... mais si vous rentrez, voulez-vous que je vous accompagne ?" dit Noah avant d'ajouter. "Désolé, l'habitude New York je crois. Les rues d'Edenton sont bien plus calmes."

@Ivanna Andrade    

Son gobelet en carton rempli de chocolat chaud désormais en main, Ivanna est on ne peut plus ravie. Elle a l'air d'avoir une dizaine d'années à nouveau, les lumières chaleureuses se reflétant dans ses yeux, et la fumée de sa boisson venant chatouiller ses lèvres pulpeuses. "Oh... C'est de vous, cette pensée ?" demande Ivanna, le nez au-dessus de son chocolat, dans un léger sourire. Elle obtient sa réponse dans la seconde qui suit, et hoche la tête. "Peut-être que j'aurai besoin d'autre chose et que je repasserai à la librairie, qui sait..." imagine-t-elle, dans le seul et unique but d'avoir l'occasion de revoir le dénommé Noah. "Merci, en tout cas," souffle-t-elle au-dessus du gobelet avant d'en boire une gorgée du bout des lèvres. Le liquide est encore trop chaud au goût d'Ivanna. Noah lui propose dans la foulée de faire un bout de chemin avec elle, dans l'optique où elle comptait rentrer. Elle hoche la tête en souriant, et ouvre donc la marche en direction du sentier qui traverse la forêt. "C'est vrai que le froid commence doucement à ronger le bout de mon nez..." avoue-t-elle, consciente qu'elle ne doit plus ressembler à grand chose à force de voir son nez rougi par la température proche de zéro. Ivanna peine clairement à se réchauffer, malgré ses deux mains entourant son chocolat chaud depuis cinq bonnes minutes. "A New York, vous étiez libraire aussi ? Ou bien peut-être faisiez-vous autre chose ? Les possibilités sont tellement nombreuses, dans une telle ville..." se met à rêver Ivanna, elle qui a pourtant toujours adoré Edenton et son calme indéfectible. Elle ne serait pas contre un petit week-end, histoire de changer d'air, parfois. Mais juste pour un court temps... Son petit confort et ses habitudes ici viendraient trop vite à lui manquer.

"La porte de la librairie est toujours ouverte." dit Noah. "De 9h à 19h en tout cas. Enfin selon l'écriteau de l'entrée..." plaisanta le libraire en laissant son sourire naissant s'étendre. "Si besoin, n'hésitez pas à me joindre directement." Il se revit assis derrière le comptoir du Edenton Bay Oyster Bar, une jolie bière à la citrouille en main, se demandant très brièvement si l'appellation Pumpkin Beer-Noah se frayerait une place dans un répertoire qu'il supposait déjà bien garni. "Si vous passez le week-end... je ne travaille pas tous les samedis mais mes collègues vous aguilleront avec plaisir." Ils avaient tous cette fibre si particulière, ce contact facile que certains avaient oublié à New York. La littérature était faite pour être lue autant dans un salon que dans un amphithéâtre bondé. Elle était faite pour être partagée, décortiquée, reconnaissable. Accessible. Noah quitta des yeux le stand de boissons auprès duquel se pressaient les visiteurs tardifs, à la recherche d'une spécialité épicée ou d'une douceur sucrée. D'un peu de chaleur pour réchauffer le creux de leurs mains. Mrs Andrade leur ouvrit la marche, s'orientant vers l'entrée du festival et laissant bientôt derrière eux arbustes, massifs et stands illuminés. Cette édition était une réussite et l'affluence, autant que les larges sourires, en était un premier indicateur. "Je risque de ne pas être très original, j'en ai bien peur." commença Noah alors qu'ils passaient sous une arche de couleur vive. Sa tête pivota doucement pour croiser le regard de sa cliente. "J'étais dans l'édition au moment de quitter New York. Mais j'ai commencé en travaillant comme libraire avec mes parents." avoua Noah avec une pensée pour les Callahan. "Pour être honnête, mes parents sont libraires. Depuis toujours." dit Noah, laissant deviner une pointe de fierté dans sa voix. Il se garda de préciser qu'ils avaient la chance de disposer de leur propre enseigne, gagnée au prix de longs efforts. Ma soeur travaille dans le même secteur également. On peut dire que c'est une histoire de famille." admit le libraire. Plusieurs semaines s'étaient d'ailleurs écoulées depuis qu'il avait eu l'occasion de les retrouver en chair et en os, ailleurs que derrière un écran d'ordinateur ou via Facetime. "C'était une longue réponse... J'ai tendance à être intarissable sur le sujet." plaisanta Noah alors qu'ils s'apprêtaient à quitter le lieu du festival. Les arrivants se raréfiaient.

Après avoir quadrillé plusieurs rues, cernés par la nuit et les quelques rares bruits de véhicules en circulation, leurs pas les menèrent bientôt dans une rue résidentielle. Assez semblable à celles qui constituaient le quartier dans lequel le libraire avait posé ses valises l'année précédente. Les lèvres de Noah se plissèrent légèrement. "Je vous souhaite une excellente fin de soirée et de très bonnes fêtes. Si je n'ai pas l'occasion de vous recroiser d'ici les quelques semaines qui nous séparent de la nouvelle année." Mrs Andrade s'était arrêtée devant l'une des allées. Dans la pénombre prégnante, Noah ne pouvait que discerner les contours d'une maison qu'il pensait distinguer au bout. Assez haute, jolie, sobre. "Rentrez bien," ne put s'empêcher d'ajouter Noah. Alors que seuls quelques pas devaient la séparer de son lieu de vie.

@Ivanna Andrade

"C'est très aimable de votre part, merci infiniment," répond Ivanna, baissant légèrement la tête pour cacher au mieux le rouge qui lui monte aux joues. Elle n'hésitera pas une seule seconde à utiliser le numéro du libraire, si le besoin finit par s'en faire sentir.
Noah lui propose de l'accompagner quelque peu sur le chemin du retour, ce qu'Ivanna n'est pas en mesure de refuser. Elle apprécie beaucoup la compagnie du libraire. Profitant de sa longue réponse concernant son passé à New York pour boire quelques minuscules gorgées de son chocolat chaud, Ivanna hoche de temps à autre la tête, son visage tourné vers Noah. "Je vois," finit-elle par souffler, dans un sourire. "Il n'y a pas de problème, ne vous en faites pas. De mon côté... Je ne peux pas en dire autant ! Dans ma famille, il n'y a aucun domaine qui nous représente..." avoue timidement la brune. Aucun rapport, donc, entre la famille de Noah et la sienne. Cette différence de classe sociale laisse un sentiment de gêne chez la serveuse.

Au bout d'un petit quart d'heure de discussions et de rires polis, Ivanna aperçoit sa maison, dans la pénombre des rues. "Eh bien voilà. Vous m'aurez raccompagnée jusqu'au bout..." déclare-t-elle à Noah. Elle hoche légèrement la tête avec un sourire lorsqu'il lui souhaite de très bonnes fêtes, juste devant le portail qui mène à sa maison. "Merci... A vous également. Encore merci pour la balade... Et le chocolat !" ajoute-t-elle en levant le gobelet désormais vide. Talons tournés, un sourire toujours ancré sur ses lèvres, Ivanna ouvre son petit portail, et adresse un dernier signe de la main au libraire.

FIN